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8. La maison sur pattes

Vous êtes recouverts par l'ombre de la maison qui vient de s'arrêter net au-dessus de vous. Vous n'avez pas le temps de crier quand vous la voyez tomber lourdement sur vous et vous fermez les yeux de terreur.


Alors que vous vous attendiez à mourir dans d'attroces souffrances, vous sentez la chaleur d'un feu qui crépite crépite, douce et rassurante après le froid du marais et la peur des bois.
Vous ouvrez un oeil avant l'autre pour observer les alentours. Les flammes dansent sur les murs du petit salon, projetant des ombres qui ressemblent à des silhouettes familières.
Des herbes sèches pendent du plafond, des fioles colorées reposent sur les étagères, et l’air sent la cannelle, la cendre et un peu… le chat mouillé.

Assise dans un large fauteuil de velours émeraude usé, Baba Yaga vous observe, son visage ridé éclairé par la lumière dorée du feu. Ses yeux, pourtant, ne sont pas cruels : ils pétillent d’un éclat malicieux, bienveillant et complice.
Elle verse le thé dans de vieilles tasses ébréchées, ajoute un trait de miel, puis vous en tend une, avec un petit sourire.

« Voilà, mes petits voyageurs. Asseyez-vous, respirez. Vous avez l’air d’avoir couru un marathon contre la forêt entière. »

Elle rit d'un rire rauque, un peu grinçant, mais chaleureux.
Vous échangez un regard : c’est donc elle, la terrible Baba Yaga ? Celle qu’on craignait, qu’on fuyait, qu’on pensait maléfique ?
Rien, dans ce salon, ne respire la cruauté. Seulement une vieille sorcière fatiguée, au regard sage.

Elle vous observe longuement, puis soupire.

« Vous pensez que je vous ai traqués, que je voulais vous attraper… mais la forêt est plus dangereuse que moi. Bien plus. »
« Ceux que vous avez croisés… l’ogre, les champignons rieurs, les âmes du marais… ils étaient autrefois des êtres vivants. Des voyageurs, comme vous. Mais la forêt les a dévorés lentement. Leurs désirs, leurs peurs, leurs rêves les ont changés. »

Elle s’interrompt pour siroter son thé, puis poursuit d’une voix plus grave :

« Alors je les ai enfermés ici, dans la forêt maudite. Pas par cruauté… mais pour protéger les autres. Pour qu’ils n’errent plus hors d’ici, à chercher des âmes à tromper. »

Son regard s’attendrit.

« Vous, par contre… vous avez résisté. Vous avez fait des choix. Vous avez douté, mais vous avez continué. Et surtout, vous avez compris que la peur n’était qu’un miroir. »

Elle tapote sa cuillère contre la tasse, faisant tinter un son cristallin.

« La forêt voulait savoir si vous étiez digne de retrouver la lumière. Et vous l’êtes. »

Autour de vous, la pièce semble se dissoudre lentement.
Les murs s’effacent, remplacés par la lueur du jour.
Le fauteuil devient brume, le feu devient aurore, et Baba Yaga, floue, vous sourit encore :

« Rentrez chez vous, mon enfant. Le monde dehors a encore besoin de voyageur.euse.s courageux.ses. Et si, un jour, la forêt vous appelle à nouveau… venez avec du thé, pas des torches. » Elle a presque entièrement disparu, pourtant vous pourriez jurer qu'elle vient de vous adresser un clin d'oeil.

Une dernière gorgée chaude, un dernier éclat de rire, et vous sentez un souffle de vent vous envelopper.

Lorsque vous rouvrez les yeux, vous êtes à l’orée de la forêt.
Les arbres sont immobiles. Le soleil se lève lentement sur les mousses et les feuilles trempées de rosée.
La maison sur pattes n’est plus qu’un souvenir.

Dans vos poches, les éléments du rituel scintillent doucement, preuve que tout cela était réel.
Et dans un coin de votre esprit, une voix murmure encore :

 

« Le courage n’est pas de vaincre la peur… mais de l’écouter sans s’y perdre. »

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